Magazine
Hervé Pillaud : l'agriculteur qui murmure à l'oreille des intelligences artificielles
Hervé Pillaud interviendra à l’AG de la Section départementale des anciens exploitants de la Mayenne (SDAE 53), mardi 21 octobre au complexe sportif de Loiron. Pionnier de la transition numérique en agriculture, éleveur laitier en Vendée pendant quarante ans, il raconte comment il en est venu à faire le lien entre technologie et terroir, et pourquoi il croit que l’intelligence artificielle est une révolution des usages bien plus que des outils.
Hervé Pillaud interviendra à l’AG de la Section départementale des anciens exploitants de la Mayenne (SDAE 53), mardi 21 octobre au complexe sportif de Loiron. Pionnier de la transition numérique en agriculture, éleveur laitier en Vendée pendant quarante ans, il raconte comment il en est venu à faire le lien entre technologie et terroir, et pourquoi il croit que l’intelligence artificielle est une révolution des usages bien plus que des outils.

« C’est la communication qui m’a emmené vers le numérique », se souvient Hervé Pillaud. Précurseur du numérique agricole, il milite pour une agriculture connectée, collaborative et respectueuse des écosystèmes. C’est alors presque naturellement, qu’il publie Agronumérique en 2015. Un livre qui agit comme un déclic. On l’invite à faire des conférences, il se fait un nom. De fil en aiguille, Hervé Pillaud se retrouve au Conseil national du numérique, où il a porté la voix du monde rural et côtoyé des experts de haut niveau, et affine son regard : celui d’un homme de terrain qui comprend le fonctionnement des comités et sait lire les enjeux techniques avec les lunettes de l’usage.
« C’est la première fois qu’une machine cherche à comprendre l’homme »
C’est ensuite le virage de l’IA qui se profile. Pour lui, ce que l’intelligence artificielle change profondément, ce n’est pas tant la technologie en elle-même, qui n’est « pas si révolutionnaire que ça », glisse-t-il, que la manière dont elle transforme nos façons de faire. « C’est la première fois qu’une machine cherche à comprendre l’homme. Mais encore faut-il que l’homme comprenne la machine. »
Plutôt que de fantasmer un monde où les machines remplaceraient l’homme, Hervé Pillaud prône une vision où elles l’augmentent. L’agriculteur reste maître à bord. L’IA devient un compagnon de travail, un outil de simplification, un assistant intelligent. Il rêve déjà d’un monde où, assis dans son tracteur, un agriculteur pourrait simplement scanner un bidon de produit, vérifier son autorisation, l’enregistrer dans un carnet numérique, et préparer à la voix un contrôle PAC en bonne et due forme. Un monde où, grâce à la vidéo et au traitement en temps réel, un robot pourrait dire ce qu’il y a sur la table, anticiper les besoins, organiser les tâches. Pas de magie, juste de l’usage.
Ce qui freine encore l’adoption, selon lui, ce n’est ni la peur ni l’ignorance, mais le manque de transparence. Il insiste : les modèles doivent être ouverts, auditables. Comme pour les logiciels de déclaration d’impôts, les gens doivent savoir que quelqu’un, quelque part, peut lire le code, le vérifier. C’est une question de confiance.
Discuter technologie au pied des champs
Autre levier de développement : la donnée. Hervé Pillaud insiste sur l’importance d’en faire une matière vivante, collective, utile. Trop d’entreprises croient encore que leurs données valent de l’or, qu’elles doivent les garder pour elles. Or, à ses yeux, l’intérêt n’est pas dans la rareté mais dans le croisement. Les données isolées n’ont de valeur que si elles permettent un progrès collectif. « Ce n’est pas un coffre-fort qu’il faut, c’est un pot commun. »
Dans cette logique, il milite pour des « cafés IA », des espaces où l’on discute technologie au pied des champs, où les agriculteurs partagent leurs craintes, leurs envies, leurs expériences. L’idée ? Accompagner la transition, remettre du lien humain dans le numérique. « Ce n’est pas la technologie qui pose problème, c’est ce qu’on en fait. »
Il explique aussi comment les jumeaux numériques vont permettre de tester, en laboratoire virtuel, de nouvelles variétés de plantes adaptées au climat de demain. Comment on pourra créer des protéines pour produire des vaccins plus rapidement, comment la formation elle-même devra évoluer. « On ne formera plus en transmettant des savoirs, mais des méthodes. L’apprenant devra être responsabilisé. »
« Un nouveau compagnon de route »
Dans le livre qu’il prépare avec David Joulin et Karine Cailleaux-Breton pour début 2026, il pose ces grands axes : comprendre l’IA, sans jargon ni intimidation, mais avec pédagogie. Il montre ensuite comment ces technologies peuvent devenir des leviers d’action concrets, accessibles, adaptés à la diversité des exploitations.
Enfin, il ouvre les perspectives plus larges : comment l’IA peut aider à relever les défis du vivant et du numérique, de l’adaptation climatique à la transformation des filières. « Il faut en faire un levier de compétitivité et de simplification. » Hervé Pillaud y plaide également pour une régulation a posteriori, pas en amont, comme on le fait souvent, en posant des interdits avant même d’explorer. Il refuse qu’on bride le progrès. Ce n’est pas ainsi que la France restera compétitive, notamment face aux autres pays.
Pour lui, l’agriculture de demain devra concilier productivité et agroécologie, progrès et autonomie. Et l’IA, bien utilisée, pourrait bien être l’outil de cette synthèse. « Ce sera un nouveau compagnon de route, si l’on prend le temps de l’apprivoiser. »