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80 ans de la Libération : Berthe Charon se souvient
Il y a quasiment 80 ans jour pour jour, l’après-midi du dimanche 6 août 1944, les chars américains entraient dans le bourg de Ruillé-le-Gravelais. Berthe Charon, 12 ans à l’époque, fille d’agriculteurs puis elle-même agricultrice toute sa carrière, se souvient de ce moment. Entre souvenirs amers et savoureux, elle nous raconte.
Il y a quasiment 80 ans jour pour jour, l’après-midi du dimanche 6 août 1944, les chars américains entraient dans le bourg de Ruillé-le-Gravelais. Berthe Charon, 12 ans à l’époque, fille d’agriculteurs puis elle-même agricultrice toute sa carrière, se souvient de ce moment. Entre souvenirs amers et savoureux, elle nous raconte.


Quelques habitants de Ruillé-le-Gravelais restent aujourd’hui les seuls témoins et les mémoires vivantes de la Libération de la commune ruilléenne, le dimanche 6 août 1944. Parmi eux, l’ancien agriculteur Marcel Rousseau (101 ans) ou encore Berthe Charon, âgée de 12 ans à l’époque. « Ce jour-là, j’étais chez mes parents dans notre ferme de La Renaudière, à Ruillé-le-Gravelais. Quand les Américains sont arrivés dans le bourg avec leurs chars, on rentrait des germes. Dans le centre, tout le monde a sorti les drapeaux. Ils ont défilé tout l’après-midi du dimanche 6 août. Ils ont ramené des cigarettes, du chewing-gum… Ils prenaient ensuite la route de Montjean ». Ce jour-là, Berthe Charon se souvient de quelqu’un en particulier : le buraliste du village. « Il a eu peur d’être dévalisé quand il a appris que les Américains allaient arriver. Il avait fait ses provisions de la semaine. Il a caché toute sa marchandise chez nous. Il faut dire qu’il était un peu froussard », se rappelle-t-elle avec le sourire. « On a appris l’arrivée des blindés américains par le bouche-à-oreille, notamment grâce au buraliste. Nous étions à la ferme et à l’époque, nous n’avions aucune nouvelle du front. Nous n’avions pas d’électricité et de toute façon pas de poste radio, pas de journaux non plus ».
« Tout était au ticket »
De sa mémoire, Berthe Charon ne se souvient jamais avoir vu un soldat allemand dans la cour de chez ses parents. « Nous étions en pleine campagne, raconte aujourd’hui l’habitante d’un paisible quartier à Loiron-Ruillé. Notre ferme était retirée de la route. Par contre, les Allemands logeaient dans certaines maisons du bourg et même dans le château de Terchant, à Ruillé-le-Gravelais ». Pas de nature à se plaindre, Berthe Charon avait et a toujours une pensée pour les citadins. « Nous n’étions pas malheureux dans nos campagnes par rapport aux gens de la ville. Ce sont plutôt eux qui ont subi la guerre et l’occupation. Le quartier d’Avesnières a été bombardé. La Ville de Laval a beaucoup souffert ». Quelque chose a toutefois marqué Berthe à l’époque : les tickets de rationnement. « De 40 à 44-45, tout était au ticket : le sucre, le café, la viande, le tabac... Tout était rationné et je me souviens que le pain n’était pas très bon, il y avait beaucoup trop de son. Pour les vêtements, si on voulait une nouvelle paire de chaussures, c’était contre un bout de lard ou une livre de beurre. Quand les Allemands sont rentrés chez eux, c’est revenu tranquillement à la normale. En 45, on arrivait déjà mieux à s’habiller, on n’avait plus besoin de tickets ».
Une bombe larguée sur Ruillé
« Mon père a fait la Première Guerre mondiale. Il était à Verdun, en 1916. Il avait 20 ans. Il me racontait souvent comment ses pieds étaient gelés dans les tranchées ». Les souvenirs douloureux de 14-18 rejaillissant, « il avait creusé une tranchée dans le verger pour se protéger pendant la Seconde Guerre mondiale. C’était par précaution, au cas où », se souvient-elle. « Pendant l’occupation, mon père devait apporter sa farine au château de Montjean pour les Allemands. Parfois, il fallait même payer le surplus. Ça le rendait furieux. Aussi, dans certaines fermes, les Allemands prenaient les meilleures juments. Ils voulaient aussi des œufs, mais certains paysans du village ne lâchaient pas le morceau. Heureusement, ils ne sont jamais venus chez nous. On avait la chance d’être complètement à l’écart, au fin fond de la campagne. Ceux qui étaient au bord de la Nationale, ils ont sûrement été confrontés aux Allemands ». D’autres souvenirs de cette époque ont marqué à jamais Berthe Charon. « Deux mois avant la Libération, au moment du Débarquement, une bombe a été lâchée sur Ruillé. Une dame du village, Madame Rabourt, était dans son champ en train de passer la râteleuse. Quand l’obus a touché le sol, la jument s’est emballée et l’agricultrice est tombée dans la râteleuse ».
Le goût retrouvé de la liberté
Le défilé des blindés américains, le dimanche après-midi 6 août 1944, n’était pas anodin. « Ce n’était pas seulement pour fêter la Libération, mais aussi et surtout pour s’assurer qu’il ne restait plus aucun Allemand dans les campagnes. Il fallait se méfier, les soldats ennemis n’avaient plus rien à perdre. C’est malheureusement ce qui s’est passé à Cossé-le-Vivien. Sur la route en direction de Méral, il restait une poche d’Allemands. Les soldats américains sont tombés sur eux et trois d’entre eux ont été tués. Un monument aux morts leur est dédié à Cossé-le-Vivien », raconte Claude, le fils de Berthe. Au total, le village de Ruillé-le-Gravelais compte une victime civile, Madame Rabourt, ainsi que « deux ou trois soldats originaires de la commune », poursuit Berthe Charon. Et de se remémorer un doux souvenir : « Après la Libération, Jules Béguin, agriculteur à La Besnardière, avait récupéré son accordéon. Il pouvait à nouveau jouer de son instrument et les gens étaient heureux de l’écouter. Sa musique retentissait comme un retour à la liberté ».
Quelques souvenirs par-ci, par-là
Quand la Guerre 39-45 a éclaté, « le village a recueilli des réfugiés de l’Aisne, des parents et leurs trois enfants. Ils sont restés quatre à cinq mois près de chez nous », se rappelle Berthe Charon. « Je me souviens aussi d’un habitant de Saint-Poix, un homme très courageux, qui avait été emprisonné par les Allemands. Il avait réussi à s’échapper. Il ne se déplaçait que la nuit pour être discret. Le jour, il se cachait dans les arbres ». Un agriculteur, résidant au bord de la Nationale, « planquait du matériel chez mes parents. Il cachait notamment des vélos dans les haricots à rame », se remémore-t-elle avec un brin de nostalgie et de fierté pour ces hommes et ces femmes ayant vécu cette époque.